Un petit cercueil blanc orné de lys
blancs devant un couple.
Un petit gamin aux cheveux bouclés
entre eux. Un petit garçon blond, les
yeux fermés dans son jogging.
Un petit prince qui semble dormir.
Dormir pour toujours.
La femme prend la main du petit
garçon pour caresser son ventre lourd
et plein de vie.
C’est dans ce moment-là, dans ces
circonstances,
que nos deux univers, nos
existences se sont croisées réellement
pour l’unique fois. Moi, au chaud, une
vie toute protégée.
Toi, silencieux, tu ne respirais plus.
C’est comme cela que je t’ai dit au
revoir. Toi, mon frère, dans cette caisse
en bois dont le blanc me donne des
frissons.
{...}
Il y a un an: ce jour-là s‘est gravé pour toujours dans ma mémoire. La
question mortelle, comme le venin
d’un serpent, «vous avez combien de
frères», posée par quelqu’un. C’est là
que, pour la première fois de ma vie,
dans ma vie de jeune adolescent, je
n’arrivais plus à anéantir ton existence
comme d’habitude. Je criai presque:
«J’en ai deux».
{...}
Je me retrouvais devant un bureau. J’ai
oublié tout le reste de ce matin froid. Il
n’y avait ni un ange, ni maman, ni papa,
ni Dieu qui me protégeait.
Soudain, j’ai conçu les paroles de notre
longue tradition, de celui qui poussait
le cri: «Père, père, pourquoi m‘as-tu
abandonné»?
J’ai compris que dans la vraie souffrance,
on est seul et nu.
Je n’avais que quinze ans. Je me suis mis
à ta recherche.
Toi, mon frère perdu.
Mon frère que j’essayais de renier pour
pouvoir vivre comme je me l‘étais
imaginé.
Ce jour-là, j’ai compris que ce serait un
chemin douloureux, mais je n’avais plus
le choix.
Les questions qui m’ont serré, qui m’ont
empêché de vivre, commençaient à se
déchaîner dans ma tête comme un feu
d’artifice.
{...}
Pourquoi se
moque-t-on de moi ?
Je me sens trahi, seul. Je n’ai qu’un
moyen pour sortir de cet isolement,
cette solitude. Je vais sur la route à
ta recherche, afin de pouvoir respirer,
vivre sans toi et pourtant avec toi.
En écrivant ces lignes, j’ai honte, je
sens
l’impudeur de cet exhibitionnisme de
notre temps, de ces feuilletons télévisés
éhontés.
Comment puis-je expliquer que ce
ne sont pas mes motifs? Mais si je ne
comprends pas, si je ne te parle pas,
alors je ne vivrai pas, je serais toujours
tel que mon frère m‘appelait pour me
vexer: «Oh, toi, le petit indésirable».